Ăa faisait un moment que je voulais mettre les voiles. Mais pour aller oĂč ? Avec qui ? Je relisais avec Nostalgie la BD de Frank Margerin « Week-end entre motards », BD qui me faisait rĂȘver depuis mon plus jeune Ăąge. Malheureusement, ce nâĂ©tait pas la saison pour partir au Mans. Je tombais alors sur un personnage un peu bourrin qui racontait aux hĂ©ros parisiens ce les Ă©lĂ©phants. CâĂ©tait une hivernale en Allemagne oĂč on chauffait les moteurs au chalumeau Ă cause des tempĂ©ratures nĂ©gatives. Les parisiens Ă©taient horrifiĂ©s, ne comprenant pas pourquoi les histoires de pneumonies et de galĂšres Ă©taient si drĂŽles. Nâayant pas particuliĂšrement peur de la mĂ©tĂ©o, je me renseignai avant de tomber de fil en aiguille, sur une hivernale française : les Millevaches. Les images et les rĂ©cits Ă©taient complĂštement surrĂ©alistes, et les tĂ©moignages collaient avec ma vision de la moto. Il fallait que jây aille.
Chacun ramÚne une spécialité !
Ătonnamment, personne de mon entourage ne jugea bon de mâaccompagner dans ce pĂ©riple. CâĂ©tait trop loin de la Bretagne : « Mais non, en partant de Rennes, ça fait 500km ! ». Il allait faire trop froid : « Mais non, faut juste bien sâĂ©quiper ! » Il nây allait y avoir que des motards complĂštement bourrĂ©s : « Mais non, et puis faut bien se rĂ©chauffer ! » Il nây allait pas y avoir de concert et dâanimation : « Mais non, pas besoin ! De lâanimation yâen aura ! » Il nây allait pas avoir de quoi vraiment manger : « Mais bien sĂ»r que si ! Chacun ramĂšne une spĂ©cialitĂ© ! »
Devant tant de refus, je dĂ©cidai dây aller toute seule, comme une grande inconsciente, malgrĂ© les protestations. Et puis de toute façon, je rencontrerai bien des bretons sur la route ou sur le plateau des Millevaches pour me filer un coup de main ! Câest vrai, aprĂšs tout, il y en a toujours un dans les parages, alors Ă une concentration… Un ami me donna nĂ©anmoins le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone de motards partant dâIlle-et-Vilaine. MĂȘme si je voulais rouler seule, jâaurais au moins un contact quand jâaurai de la neige jusquâaux chevilles.
Seule en haut des Millevaches
Je pris la route le vendredi Ă 8h du matin. Les premiers kilomĂštres furent pluvieux, mais cela nâentama pas ma bonne humeur. Fatigant un peu, je mâarrĂȘtai aprĂšs une heure et demi sur un parking lorsque deux motards approchĂšrent, motos chargĂ©es mĂ©thodiquement (contrairement Ă la mienne) et dĂ©corĂ©es de petites vaches. Ces deux hivernaux venaient de Dinard, et me proposĂšrent joyeusement de poursuivre la route avec eux. AprĂšs tout, pourquoi pas ! Plus nous avancions, plus nous rencontrions des motos Ă lâallure loufoque avec un matĂ©riel pas possible. En nous arrĂȘtant aprĂšs Angers, nous nous garĂąmes prĂšs de motos qui, au vu de leur allure, se rendaient en terre promise. Encore des bretons. Je pensais : « Moi qui voulais rencontrer du monde, je vais finalement me retrouver en Bretagne Ă 950m dâaltitude ! » Nous eĂ»mes droit Ă tout : la pluie, le soleil, la grĂȘle, le verglas et bien sĂ»r la neige quand tomba la nuit.
Nous roulions dĂ©sormais en groupe, chose forcĂ©e lorsque tout le monde se rend au mĂȘme endroit sur des routes de montagne. Nous fĂ»mes chaleureusement accueillis Ă Meymac, derniĂšre Ă©tape avant le grand final. Jâignore lâheure quâil Ă©tait lorsque nous entreprĂźmes lâascension du plateau. Jâavais fini par ouvrir le groupe, ayant la moto la plus lĂ©gĂšre et agile. Il fallait dĂ©sormais emprunter un chemin fait de boue et de neige, sans sâembourber. Certaines motos avaient Ă©tĂ© abandonnĂ©es sur le bas-cĂŽtĂ©. Les batteries avaient probablement lĂąchĂ©. Je faillis tomber plusieurs fois, mais je montai assez aisĂ©ment, ce qui ne fut pas le cas de mes compĂšres dont les phares avaient disparu dans la nuit. Jâarrivai donc seule en haut des Millevaches.
La nuit aux Millevaches
Je fus accueillie par 9 de mes compatriotes qui avaient prĂ©parĂ© un feu Ă faire jalouser un scout Ă©mĂ©rite (car lĂ -haut tu dois couper ton bois !). Je dĂ©couvris des boissons maisons que je nâaurais pas goĂ»tĂ©es chez moi. Mais quand tu as froid⊠Tu acceptes Ă peu prĂšs nâimporte quoi, surtout si câest Ă base de pomme. La nuit fut courte et fraĂźche (-5C°) car je devais repartir le lendemain matin. En ouvrant ma tente, je dĂ©couvris le plateau et les arbres enneigĂ©s, recouvert dâun village de tentes gardĂ© par des motos et des silhouettes en bonnet. Je devais partir dans quelques heures, alors je profitai du cafĂ© et des croissants servis par les bĂ©nĂ©voles, admirai des motos et des mobylettes que personne nâaurait cru capables de grimper aussi haut, dans la neige et dans la boue. Je discutai beaucoup et rencontrai des inconnus sympathiques avant de rejoindre mes bretons frigorifiĂ©s qui dĂ©cuvaient. Ils avaient eux aussi survĂ©cu Ă la nuit. Ils dĂ©plorĂšrent mon dĂ©part, mais mâaidĂšrent Ă charger correctement ma moto (pour une fois). Je repartis sous les yeux interloquĂ©s de quelques motards, mes compagnons me faisant une haie dâhonneur et me poussant pour Ă©viter que je mâembourbe.
Recouvertes de boue…
Sur le trajet du retour, je profitai du panorama, des routes sinueuses (heureusement salĂ©es). Je nâavais vraiment pas envie de rentrer. La route fut beaucoup plus longue quâĂ lâaller, mais je pensais quâelle serait plus facile. HĂ©las, ce ne fut pas le cas. Ă partir dâAngers, des trombes dâeaux tombĂšrent, signe que la Bretagne nâĂ©tait pas bien loin. Ce fut les pires kilomĂštres de ma vie. Mes feux marchaient mal, je ne voyais pas la route ni les virages sur la 4 voies, le revĂȘtement glissait et il mâĂ©tait impossible de mâarrĂȘter sans danger. Je mâĂ©clairais avec les phares des autres, roulais lentement, concentrĂ©e sur mon objectif. Atteindre Rennes. AprĂšs 1h30 de souffrance, la pluie cessa, et je vis au loin les lumiĂšres de la ville ! Je pleurai de joie dans mon casque, et hurlai Ă la victoire lorsque je dĂ©passai le panneau « Rennes », sous lâĆil Ă©tonnĂ© des passants. Je me vis dans une vitrine : la moto et moi Ă©tions recouvertes de boue, des pneus jusquâaux gants.
Une fois chez moi, je me remĂ©morai la route : ce nâĂ©tait pas la montagne, la neige ou la boue qui avaient failli avoir ma peau. Non, câĂ©tait encore et toujours la Bretagne. Je crois que par nostalgie des massifs rocheux, jâallais entreprendre prochainement les Monts dâArrĂ©e. Si les Millevaches mâont appris quelque chose, câest bien quâil nây a pas de saison pour rouler.
Texte et photos : Marie Proisy