Millevaches 2022

Une nuit aux Millevaches 🔐

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Ça faisait un moment que je voulais mettre les voiles. Mais pour aller oĂč ? Avec qui ? Je relisais avec Nostalgie la BD de Frank Margerin « Week-end entre motards Â», BD qui me faisait rĂȘver depuis mon plus jeune Ăąge. Malheureusement, ce n’était pas la saison pour partir au Mans. Je tombais alors sur un personnage un peu bourrin qui racontait aux hĂ©ros parisiens ce les Ă©lĂ©phants. C’était une hivernale en Allemagne oĂč on chauffait les moteurs au chalumeau Ă  cause des tempĂ©ratures nĂ©gatives. Les parisiens Ă©taient horrifiĂ©s, ne comprenant pas pourquoi les histoires de pneumonies et de galĂšres Ă©taient si drĂŽles. N’ayant pas particuliĂšrement peur de la mĂ©tĂ©o, je me renseignai avant de tomber de fil en aiguille, sur une hivernale française : les Millevaches. Les images et les rĂ©cits Ă©taient complĂštement surrĂ©alistes, et les tĂ©moignages collaient avec ma vision de la moto. Il fallait que j’y aille.

Chacun ramĂšne une spĂ©cialitĂ© !

Étonnamment, personne de mon entourage ne jugea bon de m’accompagner dans ce pĂ©riple. C’était trop loin de la Bretagne : « Mais non, en partant de Rennes, ça fait 500km ! Â». Il allait faire trop froid : « Mais non, faut juste bien s’équiper ! Â» Il n’y allait y avoir que des motards complĂštement bourrĂ©s : « Mais non, et puis faut bien se rĂ©chauffer ! Â» Il n’y allait pas y avoir de concert et d’animation : « Mais non, pas besoin ! De l’animation y’en aura ! Â» Il n’y allait pas avoir de quoi vraiment manger : « Mais bien sĂ»r que si ! Chacun ramĂšne une spĂ©cialitĂ© ! Â»

Devant tant de refus, je dĂ©cidai d’y aller toute seule, comme une grande inconsciente, malgrĂ© les protestations. Et puis de toute façon, je rencontrerai bien des bretons sur la route ou sur le plateau des Millevaches pour me filer un coup de main ! C’est vrai, aprĂšs tout, il y en a toujours un dans les parages, alors Ă  une concentration… Un ami me donna nĂ©anmoins le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone de motards partant d’Ille-et-Vilaine. MĂȘme si je voulais rouler seule, j’aurais au moins un contact quand j’aurai de la neige jusqu’aux chevilles.

Seule en haut des Millevaches

Je pris la route le vendredi Ă  8h du matin. Les premiers kilomĂštres furent pluvieux, mais cela n’entama pas ma bonne humeur. Fatigant un peu, je m’arrĂȘtai aprĂšs une heure et demi sur un parking lorsque deux motards approchĂšrent, motos chargĂ©es mĂ©thodiquement (contrairement Ă  la mienne) et dĂ©corĂ©es de petites vaches. Ces deux hivernaux venaient de Dinard, et me proposĂšrent joyeusement de poursuivre la route avec eux. AprĂšs tout, pourquoi pas ! Plus nous avancions, plus nous rencontrions des motos Ă  l’allure loufoque avec un matĂ©riel pas possible. En nous arrĂȘtant aprĂšs Angers, nous nous garĂąmes prĂšs de motos qui, au vu de leur allure, se rendaient en terre promise. Encore des bretons. Je pensais : « Moi qui voulais rencontrer du monde, je vais finalement me retrouver en Bretagne Ă  950m d’altitude ! Â» Nous eĂ»mes droit Ă  tout : la pluie, le soleil, la grĂȘle, le verglas et bien sĂ»r la neige quand tomba la nuit.

Nous roulions dĂ©sormais en groupe, chose forcĂ©e lorsque tout le monde se rend au mĂȘme endroit sur des routes de montagne. Nous fĂ»mes chaleureusement accueillis Ă  Meymac, derniĂšre Ă©tape avant le grand final. J’ignore l’heure qu’il Ă©tait lorsque nous entreprĂźmes l’ascension du plateau. J’avais fini par ouvrir le groupe, ayant la moto la plus lĂ©gĂšre et agile. Il fallait dĂ©sormais emprunter un chemin fait de boue et de neige, sans s’embourber. Certaines motos avaient Ă©tĂ© abandonnĂ©es sur le bas-cĂŽtĂ©. Les batteries avaient probablement lĂąchĂ©. Je faillis tomber plusieurs fois, mais je montai assez aisĂ©ment, ce qui ne fut pas le cas de mes compĂšres dont les phares avaient disparu dans la nuit. J’arrivai donc seule en haut des Millevaches.

La nuit aux Millevaches

Je fus accueillie par 9 de mes compatriotes qui avaient prĂ©parĂ© un feu Ă  faire jalouser un scout Ă©mĂ©rite (car lĂ -haut tu dois couper ton bois !). Je dĂ©couvris des boissons maisons que je n’aurais pas goĂ»tĂ©es chez moi. Mais quand tu as froid
 Tu acceptes Ă  peu prĂšs n’importe quoi, surtout si c’est Ă  base de pomme. La nuit fut courte et fraĂźche (-5C°) car je devais repartir le lendemain matin. En ouvrant ma tente, je dĂ©couvris le plateau et les arbres enneigĂ©s, recouvert d’un village de tentes gardĂ© par des motos et des silhouettes en bonnet. Je devais partir dans quelques heures, alors je profitai du cafĂ© et des croissants servis par les bĂ©nĂ©voles, admirai des motos et des mobylettes que personne n’aurait cru capables de grimper aussi haut, dans la neige et dans la boue. Je discutai beaucoup et rencontrai des inconnus sympathiques avant de rejoindre mes bretons frigorifiĂ©s qui dĂ©cuvaient. Ils avaient eux aussi survĂ©cu Ă  la nuit. Ils dĂ©plorĂšrent mon dĂ©part, mais m’aidĂšrent Ă  charger correctement ma moto (pour une fois). Je repartis sous les yeux interloquĂ©s de quelques motards, mes compagnons me faisant une haie d’honneur et me poussant pour Ă©viter que je m’embourbe.

Recouvertes de boue…

Sur le trajet du retour, je profitai du panorama, des routes sinueuses (heureusement salĂ©es). Je n’avais vraiment pas envie de rentrer. La route fut beaucoup plus longue qu’à l’aller, mais je pensais qu’elle serait plus facile. HĂ©las, ce ne fut pas le cas. À partir d’Angers, des trombes d’eaux tombĂšrent, signe que la Bretagne n’était pas bien loin. Ce fut les pires kilomĂštres de ma vie. Mes feux marchaient mal, je ne voyais pas la route ni les virages sur la 4 voies, le revĂȘtement glissait et il m’était impossible de m’arrĂȘter sans danger. Je m’éclairais avec les phares des autres, roulais lentement, concentrĂ©e sur mon objectif. Atteindre Rennes. AprĂšs 1h30 de souffrance, la pluie cessa, et je vis au loin les lumiĂšres de la ville ! Je pleurai de joie dans mon casque, et hurlai Ă  la victoire lorsque je dĂ©passai le panneau « Rennes Â», sous l’Ɠil Ă©tonnĂ© des passants. Je me vis dans une vitrine : la moto et moi Ă©tions recouvertes de boue, des pneus jusqu’aux gants.

Une fois chez moi, je me remĂ©morai la route : ce n’était pas la montagne, la neige ou la boue qui avaient failli avoir ma peau. Non, c’était encore et toujours la Bretagne. Je crois que par nostalgie des massifs rocheux, j’allais entreprendre prochainement les Monts d’ArrĂ©e. Si les Millevaches m’ont appris quelque chose, c’est bien qu’il n’y a pas de saison pour rouler.

Texte et photos : Marie Proisy

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