The Dark Side of the Mans

The Dark Side of the Mans 🔐

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Le milieu biker rock’n’roll, je ne le connaissais qu’à travers les BD et les rumeurs. J’y voyais un monde un peu folklo, fermĂ©, rĂ©servĂ© Ă  une certaine « Ă©lite Â» motarde, un cercle inaccessible Ă  moins d’avoir fait ses preuves. Il fallait non seulement la moto adaptĂ©e, mais aussi quelques faits d’armes : avoir tant roulĂ©, avoir une Ăąme rebelle, voire un casier judiciaire
 Bref, une image Ă  la « Sons of Anarchy Â», mais sans le trafic d’armes (je ne suis pas si naĂŻve que ça). Je m’attendais Ă  en croiser quelques-uns au Festival 72 du Mans dĂ©but juillet. Comme tout le monde, ça faisait un bail que je n’avais pas pu frĂ©quenter ce type d’évĂšnement. Ce qui m’intĂ©ressait Ă©tait principalement l’aspect rĂ©tro et original : je pensais croiser des bikers, des vrais de vrais, mais aussi des motos dĂ©jantĂ©es, des rat’s, et mĂȘme une ambiance Ă  la Mad Max. J’apprĂ©ciais Ă©galement le cĂŽtĂ© fifties et le rock, le vrai. J’espĂ©rais donc y trouver mon bonheur. La rĂ©alitĂ© fut tout autre.

Je m’élançai donc naĂŻvement vers Le Mans, estimant mon trajet Ă  3 heures de route en comptant les pauses. J’avais eu la bonne idĂ©e de charger mon sac Ă  dos de matĂ©riel photo et de carnets, pensant que la journĂ©e serait longue et enrichissante. Je me perdis dans les dĂ©partementales (n’oublions pas que je suis en 125), et m’arrĂȘtai quelques fois dans des champs de blĂ© bordĂ©s d’arbres, cueillant quelques cerises pour me donner du courage. Cela faisait longtemps que je n’avais pas parcouru autant de kilomĂštres, et ma perte d’endurance se faisait sentir. J’approchais nĂ©anmoins de la terre promise : lorsque les premiers arsouilleurs se firent entendre, je souriais, enthousiaste d’accomplir enfin ce pĂšlerinage. J’atteignis le parc des expositions du Festival 72 du Mans : une Harley, deux Harley, dix Harley
 Ça commençait Ă  faire pas mal, mais rien d’inquiĂ©tant jusque-lĂ . Quelques bikers attendaient de pouvoir passer les barriĂšres. Une fois passĂ©s, ils enlevĂšrent leur casque et leurs gants : en tant que vrais rebelles, ils ne porteraient pas l’équipement obligatoire ! Enfin
 Sur terrain privĂ© du moins
 Je les suivis et m’arrĂȘtai Ă  la hauteur des organisateurs. « Salut ! C’est ici l’entrĂ©e pour le parking moto ? Â» L’homme me dĂ©visagea comme un videur de boĂźte de nuit, avant de confirmer et me laisser entrer. Ça commençait bien
 Un Ă©trange pressentiment m’envahit lorsque je rejoignis la file de moto attendant de pouvoir avancer, moteurs Ă©teints. Une file de motos, ou plutĂŽt de tracteurs. Je coupai le contact et m’étirai avant de me rendre compte qu’on me dĂ©visageait. J’étais, d’une part, une motarde et surtout en 125 (japonaise qui plus est). Je cherchais des consƓurs, mais hĂ©las, toutes les femmes prĂ©sentes Ă©taient SDS et dont la moyenne d’ñge ne correspondait pas Ă  ma gĂ©nĂ©ration. LĂ©ger malaise. Je commençai Ă  rire nerveusement. Je tendis alors l’oreille, histoire de prendre la tempĂ©rature : les conversations portaient principalement sur l’entretien des chromes, les kilomĂštres parcourus, l’entretien des blousons et l’hĂ©sitation de prendre la moto ou le camping-car. Voir ces sosies de ZZ Top, ces anticonformistes, ces hors-la-loi qui ne portaient pas de casques parler de tout ça me fit rire franchement. J’étais contente d’avoir un casque intĂ©gral Ă  ce moment-lĂ . Et j’attendais, j’attendais
 Je patientais derriĂšre ces dizaines de Harley et ces camping-cars aux peintures de fĂȘte foraine et aux drapeaux amĂ©ricains. Arriva un camion style American Truck, avec des peintures de Johnny Hallyday. Se multipliaient les coupes mulet et les franges en cuir. J’étais dĂ©finitivement perdue. La diffĂ©rence s’accentuait de plus en plus, moi et mon intĂ©gral, cuir et sac Furygan, bottes et jean homologuĂ©s face aux motards et SDS nu-tĂȘte, gilet en cuir, barbes et cheveux colorĂ©s, et je suppose, une forte odeur de transpiration. Est-ce vraiment utile de comparer nos motos ? La mienne ayant dĂ©sormais fait 13 000 km un 13 mois, aux poignĂ©es dĂ©pareillĂ©es, les chromes salis par les chemins poussiĂ©reux qui fendaient les champs, et le « minimono Â» silencieux
 Les leurs aussi larges que des Twingo (mais pas au mĂȘme prix), tellement briquĂ©es qu’elles paraissaient neuves, le moindre accessoire coĂ»tant presque le prix de ma moto, et au bruit Ă  provoquer des pĂ©titions massives de riverains Ă  moitiĂ© sourds. ArrivĂšrent petit Ă  petit des Goldwing et quelques BMW. J’espĂ©rais la venue d’un abonnĂ©, mais qui hĂ©las, me fit faux bon. J’étais dĂ©sormais seule en territoire hostile. « Bon, c’est pas grave, je suis ici pour des raisons professionnelles, ça va pas ĂȘtre si galĂšre que ça
 Â» Nous dĂ©marrĂąmes tous un par un pour pouvoir se garer. J’ai toujours eu une peur panique de me garer Ă  cĂŽtĂ© d’une rangĂ©e de bĂ©canes : je serai bien capable de crĂ©er un effet domino, et dĂ©jĂ  intimidĂ©e, je ne voulais pas m’attirer les foudres de ce petit monde en faisant tout tomber. Je me garai alors bien loin de tout problĂšme, et parti en oubliant de laisser mon casque Ă  la consigne.

Ça y est, j’y Ă©tais ! Vendredi midi, peu, trĂšs peu de monde. Les ingĂ©s son Ă©taient encore Ă  faire les balances, et les scĂšnes se rĂ©pondaient par extraits de reprises d’AC/DC. Je regardais autour de moi, constatai les caravanes de restauration style fifties, les motos et voitures arrivant au compte-gouttes, les camping-cars manƓuvrant bruyamment, les festivaliers ne sachant pas non plus quoi faire. Un stand de tatouage, des frites belges, des camions amĂ©ricains
 Je cherchais quelques motos remarquables, sans oser fouiner pour autant. Je voulais faire un article un peu barrĂ©, original, mais aucune moto Ă  la Mad Max. Je me rĂ©solus alors Ă  entrer dans les bĂątiments pour voir les exposants. Je tombai en premier sur un disquaire, la cinquantaine probablement, principalement rock’n’roll bien Ă©videmment, et dont le stand Ă©tait dĂ©limitĂ© par des blousons en cuir personnalisĂ©s suspendus Ă  des cintres. C’était
 Original
 On peut le dire. Je parcourus les bacs, sachant que de toute maniĂšre, je ne pourrais pas prendre un vinyle dans mon sac Ă  dos (un 45 tours, Ă  la limite
). L’homme grisonnant, sympathique, me prĂ©senta un manteau pour femme en insistant sur le travail effectué  Des tĂȘtes de mort, des damiers et des symboles de groupe fort sympathiques comme les Cramps. Disons qu’il fallait assumer
 Fort heureusement, il n’était pas Ă  ma taille. Je partis en lui disant que c’était bien dommage.

En temps normal, je ne suis pas trop voiture
 Mais n’importe qui aurait bavĂ© sur la carrosserie impeccable de ces Chevrolet et Cadillac d’un autre temps. On les aurait crues sorties d’usine. LĂ  encore, je restais Ă  bonne distance, craignant d’éternuer sur la peinture vierge de toutes rayures ou de traces de doigts. Je continuai Ă  chercher des pĂ©pites Ă  deux roues. Je passai sans grande Ă©motion devant une Harley de la police amĂ©ricaine pour m’extasier devant de vieilles mob’ oubliĂ©es des dieux. J’y piochai deux ou trois idĂ©es pour celles que j’aimerais retaper, celles des grands-mĂšres que les enfants avaient oubliĂ©es dans de vieilles granges (les mob’, pas les grands-mĂšres). Dos aux Goldwing et Harley, j’admirai une Benelli 900, parmi les toutes premiĂšres ! J’aurais aimĂ© tourner autour, poser des questions de nĂ©ophyte, mais malheureusement, le stand Ă©tait dĂ©sert. Puis Ă©tait exposĂ©e fiĂšrement la GSXR 1100 d’Emmanuel Runget, pilote local qui devait se rĂ©jouir de voir sa compagne de piste parmi des motos de lĂ©gende. Je croisai Ă©galement une sympathique MV Augusta (lĂ  aussi, plus toute jeune) : aprĂšs tous ces customs, toute sportive pouvait me plaire. Un peu plus motivĂ©e, je sortis de ce premier lieu d’exposition. J’hĂ©sitais Ă  aller voir les concessionnaires : je n’étais lĂ  ni pour des motos rĂ©centes, ni pour faire un rapport d’exposition des grandes marques. NĂ©anmoins, le festival n’était pas trĂšs grand et pour l’instant assez dĂ©sert, je me rĂ©solus Ă  y faire un tour. AprĂšs tout, il arrive d’ĂȘtre agrĂ©ablement surpris lĂ  oĂč on s’y attend le moins ! Je fus accueillie par BMW (vraiment pas ma marque prĂ©fĂ©rĂ©e) et Harley (vĂ©ritable mafia du festival). Je survolai du regard les nouveaux modĂšles de chez Honda… Et puis soudain, la rĂ©vĂ©lation ! Je n’ai jamais eu de grande affinitĂ© avec Suzuki. En tout cas, ce n’était pas chez eux que j’attendais quoi que ce soit en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, d’oĂč ma surprise encore plus grande ! Une superbe GT750 d’un rouge rutilant ! Seulement une petite Ă©raflure sur le rĂ©servoir
 Pour moi qui avais commencĂ© Ă  restaurer une GT185 le mois dernier, c’était une joie intense que de trouver enfin un coup de cƓur dans cet ocĂ©an de customs. J’en Ă©tais presque Ă  baver d’émotion. Ma rĂȘverie fut interrompue par un jeune homme :

– Bonjour ! Je peux vous aider peut-ĂȘtre ?
– Hein ? Quoi ? M’aider ? Euh non pas vraiment
 J’admirais votre GT750
 rĂ©pondis-je en rougissant.
– Ah oui, elle n’attire pas toujours l’attention comme ça mais

– Elle est magnifique, vraiment ! J’ai la mĂȘme en 185 ! Mais en bleu

– En 185 ? Ça existe ?
– Oui, je n’en ai pas vu en France pour l’instant, mais ça existe ! J’adore le petit « GT Â» Ă  paillettes un peu kitch !
– Moi je prĂ©fĂšre la CB 750 four de chez Honda, juste Ă  cĂŽtĂ© ! Viens voir !

Et il me prĂ©senta sa favorite. Nous discutĂąmes pendant au moins une heure, lui et sa petite collĂšgue de chez Suzuki. Je m’excusai de les monopoliser, et eux de me retenir. C’était si bon de pouvoir papoter avec eux ! Lui Ă©tait curieux d’essayer les tracteurs monstrueux de chez Harley, chose Ă  faire au moins une fois dans sa vie, bien qu’il prĂ©fĂ©rĂąt les Indian. La jeune fille, comme moi, espĂ©rait tester un de ces jours, la Katana (oui, rien Ă  voir) qui avait selon nous, quelque chose d’à la fois intimidant et intrigant. Nos discussions enjouĂ©es, les commentaires sur les bĂ©canes d’expo et la polĂ©mique de la Pan America incitĂšrent quelques festivaliers Ă  venir leur poser quelques questions. Je m’éclipsai alors, en espĂ©rant les recroiser un jour quand je repasserai au Mans. Je ressortis toute contente, dĂ©sireuse de reprendre la moto.

J’ignorais si j’allais dormir sur place au Festival 72 du Mans ou repartir directement pour la Bretagne. Je rĂ©flĂ©chissais tout en commandant quelque chose Ă  manger Ă  l’une des baraques Ă  frites. Le motard qui la tenait me demanda en dĂ©signant du menton mon casque : « Alors, t’es venue Ă  moto ? Â» Ce Ă  quoi je rĂ©pondis que oui, en 125, depuis Rennes. Je lui expliquai qu’il m’arrivait de faire de longs trajets pour profiter de la route, comme ça
 « Ah bah, t’en a du temps Ă  perdre Â», rigola-t-il. Il me confia que le peu de monde l’inquiĂ©tait, et que la journĂ©e serait longue
 Malheureusement pour lui, il Ă©tait installĂ© juste devant une scĂšne oĂč se faisaient encore les balances. Il allait, au moins jusqu’à 18h, subir les variations des amplis jusqu’à ce que l’ingĂ© son soit satisfait. Assise Ă  une table, je pensai : « Quelque chose manque Ă  ce repas
 De la biĂšre, ça c’est sĂ»r
 Mais c’est pas ça
 C’est quelque chose de plus
 Familier
 Mais oui ! Les goĂ©lands pour piquer mes frites ! Â» Je rigolai toute seule en regagnant ma bĂ©cane, dĂ©crĂ©tant que j’en avais assez vu. L’accumulation de bikers comme les oiseaux de Hitchcock accentuait la sensation que je n’étais pas Ă  ma place. Je prĂ©fĂ©rai donc partir. Je sortis une derniĂšre fois mon appareil photo en arrivant sur le parking : mes amis voulaient absolument une photo de Blue Pill Ă  cĂŽtĂ© de tous ces monstres ! Mais
 « Attends
 C’est une blague ? SĂ©rieusement ? Parmi tous les deux-roues, il fallait que le seul scooter du festival dĂ©cide de se garer devant ma 125 ! Â» Quelques regards dĂ©sapprobateurs fixĂšrent mon appareil photo que je dĂ©cidai alors de ranger bien vite dans mon sac. Je m’équipai et tentai de trouver la sortie sans dĂ©raper magistralement sur le gravier. J’arrivai devant un portail entrouvert sur lequel deux agents se prĂ©cipitĂšrent pour me laisser passer :

– Ah non mais vous dĂ©rangez pas ! Je passe largement, c’est pas une Harley hein !
– Haha ! Oui, c’est vrai que
 ça
 change


Je fonçai vers la Bretagne, sans GPS cette fois-ci
 Je n’avais pas de rendez-vous, et grand besoin d’aventure (mais forcĂ©ment, pour une fois, je ne me perdis pas). Je repensai Ă  cette journĂ©e au Festival 72 du Mans : j’adore le rock, le mĂ©tal, le rĂ©tro, les fifties/sixties, et le too much. Alors pourquoi je n’avais pas apprĂ©ciĂ© ce festival comme je l’aurais dĂ» ? « Johnny Hallyday. Ça ne peut ĂȘtre que ça. Ou la solitude. Â» NĂ©anmoins, malgrĂ© ces pĂ©ripĂ©ties dĂ©concertantes, j’étais contente d’avoir pu dĂ©couvrir cet Ă©trange milieu, ce cĂŽtĂ© obscur du Mans que peut-ĂȘtre, un jour, j’apprĂ©cierai Ă  sa juste valeur.

Texte et photo : Marie Proisy

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